Entretien avec l’association HF Île-de-France sur les Journées du matrimoine

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Pouvez-vous présenter l’histoire de l’association et ses objectifs ?

Association HF Île-de-France (HF IDF) : Le Mouvement HF est né suite à la parution des rapports sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture rédigés par Reine Prat en 2006, puis en 2009 qui ont révélé les inégalités à tous les niveaux de programmation et de pouvoir. Cette prise de conscience a convaincu en 2009 des autrices des arts et de la culture (en particulier du spectacle vivant) de tous horizons en Rhône Alpes d’abord, puis en Île-de-France et en Normandie de se rassembler pour créer des collectifs régionaux HF.

Nos objectifs sont de repérer et de compter la place des femmes dans tous les lieux et espaces culturels (la scène, la direction, les programmations, les métiers…), et dans toutes les disciplines (théâtre, musique classique ou actuelle, opéra, bande dessinée…), de faire du plaidoyer auprès des institutions du local à l’Europe pour qu’elles mènent des actions en faveur de l’égalité, et aussi de sensibiliser le grand public. Depuis 2018, le Haut Conseil à l’Égalité a repris notre demande d’attribution paritaire des aides publiques (éga-conditionnalité) et le ministère de la Culture a produit une feuille de route pour l’égalité, texte de référence pour les acteurs et actrices des arts et de la culture. Pourtant, les derniers chiffres publiés par le ministère de la Culture montrent que le compte n’y est toujours pas.

Comment sont nées les Journées du matrimoine ? Comment avez-vous lancé la dynamique et quels obstacles avez-vous pu rencontrer ?

HF IDF : Parmi les inégalités les plus flagrantes constatées dès le départ, ce sont l’invisibilité et l’effacement des créatrices du passé dans les lieux et espaces publics ou culturels. Aurore Evain, chercheuse et metteuse en scène a redécouvert le mot et le contenu qui décrit cet héritage culturel : le matrimoine. Ce concept, qui signifie l’héritage des mères, a existé pendant des siècles, puis a été délibérément effacé par l’Académie française au XVIIème siècle pour le substituer exclusivement au patrimoine. Cela a conduit et amplifié l’effacement régulier et constant pendant des siècles des œuvres crées par les femmes des livres d’histoire et des lieux culturels. Pourtant, contrairement aux idées reçues, les femmes ont toujours créé avec des succès reconnus à leur époque. Leurs œuvres n’ont pas été transmises aux générations suivantes ou bien ont été récupérées par les hommes de leur entourage (mari, père, fils).

Mettre le matrimoine en avant est donc devenu une urgence pour réparer et redonner vie à ces œuvres oubliées. En Île-de-France, depuis 2015, HF Île-de-France coordonne les Journées du matrimoine à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, le 3e week-end de septembre. En sept éditions ce sont plus de 300 créatrices qui ont été mises en lumière (via des spectacles, des lectures, des performances, des concerts) et répertoriées sur le site dédié !

Aujourd’hui, quel bilan pouvez-vous faire de ces Journées du matrimoine et quelles perspectives peuvent-elles prendre ?

HF IDF : Depuis la première édition, nous avons eu le soutien indéfectible et généreux du public. Au départ, ce furent des femmes du milieu culturel, heureuses de voir dans ces créatrices du passé, des aînées et des modèles. S’est alors créée une véritable sororité entre générations qui leur a fait du bien. Le matrimoine était le chainon manquant entre le passé et leur présent. Puis très vite le public s’est élargi à des femmes, des hommes non professionnel·les de la culture, des enfants. Quel que soit le public, 99 % des personnes qui découvrent le matrimoine sont convaincues et regardent alors le monde avec un œil neuf, et se demandent avec nous : « où sont les femmes ? ».

Et puis grâce au mouvement #MeToo, des artistes, des lieux culturels, des autrices se sont emparées de ce matrimoine qui est de plus en plus populaire. En 2021, la couverture médiatique des Journées du matrimoine a été exceptionnelle, et plus de 2 000 personnes ont assisté aux 20 évènements présentés chaque jour. Notre objectif est que très prochainement le matrimoine et le patrimoine constitue enfin notre héritage culturel commun.

Comment les collectivités peuvent s’engager dans un projet de Journées du matrimoine et comment pouvez-vous les accompagner ?

HF IDF : D’expérience, nous savons que chaque collectivité a, dans sa propre histoire, des femmes qui ont compté ou œuvré pour le développement culturel et politique de leur commune. Mais elles sont le plus souvent aujourd’hui inconnues ou effacées. Le matrimoine, ce ne sont pas que des héroïnes mais aussi des femmes, seule ou en collectif, parfois anonymes qui ont contribué à l’histoire de leur commune notamment dans les moments historiques (Révolution française, migrations successives, guerres du XXème siècle, etc.).

Les Journées du matrimoine 2022 de HF, qui auront lieu les 18 et 19 septembre 2022, peuvent être une belle opportunité pour mettre en valeur ces femmes des arts et de la culture du passé. Notre programme pourrait intégrer des lectures, des parcours, la nomination de noms de rues. HF peut aussi être, toute l’année, au côté des collectivités, actrices culturelles de proximité, qui veulent sensibiliser leurs habitant·es, leur personnel, (notamment dans les conservatoires, théâtres, centres sociaux, etc.) aux inégalités entre les femmes et les hommes grâce à des expositions existantes ou intervenir dans des conférences. Les collectivités peuvent aussi devenir adhérentes d’HF pour nous soutenir. Embarquer les citoyen·nes, les usagers et usagères, le personnel vers l’égalité femmes-hommes dans les arts et la culture est un formidable levier fédérateur qui rapproche et apaise.